Mesurer la puissance de l’information : de l’alerte démocratique de Harari à l’infoWatt, un outil pour le citoyen numérique
Nous vivons dans un monde où l’information n’est plus seulement un moyen de connaissance, mais une force structurante des sociétés. Dans Nexus, Yuval Noah Harari met en garde contre un phénomène inédit dans l’histoire humaine : la capacité de systèmes informationnels automatisés à influencer massivement les opinions, les comportements et les choix politiques, sans intention humaine directe et sans responsabilité clairement identifiable.
Le risque, selon lui, n’est pas tant le mensonge que la perte de contrôle démocratique sur les flux d’information. Lorsque la vitesse, la répétition et l’émotion priment sur la délibération, la démocratie s’expose à une saturation informationnelle qui fragilise l’esprit critique. Une société submergée de messages n’est pas nécessairement mieux informée ; elle est souvent plus malléable.
Face à cette inquiétude, une question centrale émerge :
comment comprendre, qualifier et gouverner l’impact réel de l’information sur les individus et sur la société ?
C’est précisément à cette question que répond le concept d’infoWatt, proposé par Marc Ansoult.
L’infoWatt : penser l’information comme une énergie
L’originalité de l’infoWatt repose sur un changement de paradigme. Jusqu’à présent, l’information est essentiellement mesurée comme un volume : nombre de messages, durée d’exposition, quantité de données. Or ces indicateurs disent peu de l’essentiel : l’effet produit sur les individus.
L’infoWatt propose de considérer l’information comme une énergie cognitive, capable de produire un travail sur nos représentations du monde.
Un contenu n’est pas simplement reçu : il agit, il déplace, il transforme.
Pour comprendre ce mécanisme, Marc Ansoult introduit la notion de carte mentale. Chaque individu possède une représentation du monde constituée de propositions, idées, croyances, certitudes, qui évoluent au fil du temps. Ces propositions peuvent être décrites selon trois dimensions fondamentales :
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la dimension cognitive (P) : le niveau de compréhension ou d’information sur un sujet ;
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la dimension émotionnelle (A) : l’adhésion, le rejet ou la neutralité affective ;
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la dimension comportementale (E) : le degré d’engagement ou de passage à l’action.
Lorsqu’un contenu informationnel est consommé, il peut déplacer une proposition sur un ou plusieurs de ces axes. Ce déplacement constitue le travail informationnel.
De la mécanique physique à la mécanique de l’information
Pour rendre ce phénomène mesurable, l’infoWatt s’inspire directement des unités de la physique classique. L’analogie est volontairement simple et pédagogique.
Dans le monde physique :
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une force met un objet en mouvement,
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un travail correspond à un déplacement,
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une puissance mesure la vitesse à laquelle ce travail est effectué.
Dans le monde informationnel :
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la force informationnelle correspond à l’intensité d’un contenu (par exemple un post, un article, une discussion en face à face) ;
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le travail informationnel correspond au déplacement d’une proposition sur la carte mentale d’une personne ;
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la puissance informationnelle mesure l’impact global d’un contenu dans le temps et sur une audience donnée.
Ainsi naissent les unités conceptuelles suivantes :
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l’infoNewton, unité de force informationnelle ;
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l’infoJoule, unité de travail cognitif ;
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l’infoWatt, unité de puissance informationnelle.
L’infoWatt permet donc de quantifier non pas ce qui est publié, mais ce que cela change.
Exemple : mesurer l’impact plutôt que la visibilité
Prenons un exemple concret.
Un message court, émotionnel et simplificateur, diffusé massivement par un algorithme, peut provoquer un fort déplacement émotionnel et comportemental chez un large public, en un temps très court. Sa puissance informationnelle, son infoWatt, est élevée.
À l’inverse, un article rigoureux, nuancé et factuel, diffusé plus lentement à un public restreint, peut avoir une puissance informationnelle plus faible, malgré une qualité intrinsèque supérieure.
Ce constat n’est pas un jugement de valeur ; c’est un diagnostic.
Et c’est précisément ce diagnostic qui manque aujourd’hui aux démocraties, comme le souligne Harari.
Un outil pour révéler les déséquilibres de pouvoir informationnel
L’apport politique majeur de l’infoWatt réside dans sa capacité à rendre visibles des déséquilibres jusque-là abstraits.
Lorsque des acteurs anonymes, automatisés ou non responsables disposent d’une puissance informationnelle équivalente à celle d’institutions démocratiques, un problème de gouvernance se pose.
Harari le formule autrement : les démocraties risquent d’être façonnées par des récits qu’elles n’ont ni choisis, ni compris, ni régulés.
L’infoWatt ne décide pas à la place du politique, mais il fournit un instrument de lecture indispensable pour éclairer les décisions publiques, éducatives et citoyennes.
L’éducation à la citoyenneté numérique : donner des outils pour comprendre l’impact
Dans ce contexte, l’éducation à la citoyenneté numérique devient une nécessité démocratique.
Former des citoyens numériques, ce n’est pas seulement enseigner l’usage des outils, mais développer une conscience de l’impact informationnel.
L’infoWatt peut jouer ici un rôle pédagogique central :
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il permet de comprendre pourquoi certains contenus nous affectent plus que d’autres ;
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il aide à identifier les mécanismes de viralité et de manipulation émotionnelle ;
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il introduit la notion de responsabilité proportionnelle à l’impact.
Partager un contenu, ce n’est pas un geste neutre. C’est exercer une part de puissance informationnelle.
Le citoyen numérique comme acteur démocratique
Face aux défis du monde digital, le citoyen n’est pas condamné à l’impuissance.
Mais son rôle évolue. Il ne s’agit plus seulement de voter ou de s’exprimer, mais de choisir consciemment ce que l’on amplifie.
Le citoyen numérique est celui qui :
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comprend que l’information agit comme une force,
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accepte de ralentir face à l’émotion,
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mesure les effets de la répétition,
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assume sa part de responsabilité dans l’écosystème informationnel.
Mesurer pour gouverner, gouverner pour préserver
Nexus nous rappelle que l’information façonne les civilisations.
L’infoWatt propose un moyen de rendre cette puissance visible, intelligible et donc gouvernable.
Entre l’alerte de Harari et le modèle de Marc Ansoult se dessine une même exigence :
👉 réintroduire de la mesure, de la responsabilité et de la conscience dans un monde saturé d’informations.
Car ce que nous ne mesurons pas finit toujours par nous dominer.
Et dans une démocratie, comprendre ce qui nous influence est déjà un acte citoyen.



