En tant que député, je me suis exprimé en commission défense afin de partager ma vision de la défense européenne, à l’approche du sommet de l’OTAN à La Haye en ces 24 et 25 juin 2025.
Je veux insister sur la nécessité pour l’Europe de se doter d’une défense intelligente et résiliente, bien au-delà d’une simple course aux pourcentages budgétaires souhaité par l’Otan.
Un Contexte Géopolitique Turbulent et Incertain
Les équilibres géostratégiques sont profondément bouleversés, rendant difficile toute vision claire et stable de l’avenir, tant en matière de relations internationales que de nature des menaces.
L’agression russe en Ukraine, en particulier, a servi de réveil brutal, soulignant des vulnérabilités inattendues et l’urgence d’une réévaluation profonde de notre approche collective de la sécurité. C’est dans ce contexte d’incertitude croissante que le sommet de l’OTAN devra prendre des décisions capitales.
Renforcer le Pilier Européen : Une Nécessité Stratégique
Face à cette instabilité et à l’éventualité d’une fragilisation de l’engagement américain au sein de l’OTAN, il est urgent de renforcer le pilier européen de la défense.
L’Europe ne peut plus se contenter d’être un spectateur ou de dépendre entièrement d’une aide extérieure. Elle doit se préparer à assumer pleinement la défense de son territoire, d’autant plus que la perspective d’un retrait progressif ou total des États-Unis de l’OTAN n’est plus une hypothèse théorique mais un scénario de plus en plus plausible à moyen terme.
Il ne s’agit en aucun cas de contester le rôle essentiel de l’OTAN, notre alliance fondamentale ni même de nier le rôle essentiel que devrait jouer les Etats Unis en son sein.
Il s’agit par contre, d’être lucide et de bâtir, au sein de cette alliance, une capacité d’action autonome et complémentaire, faisant de l’Europe un partenaire loyal et respecté de l’Alliance. Cette autonomie est d’autant plus cruciale qu’une fenêtre de vulnérabilité pour l’Europe, due au renforcement militaire de la Russie est estimée entre 2027 et 2032.
Pour concrétiser cette ambition, j’ai insisté sur quatre piliers essentiels à renforcer au sein de nos systèmes de défense (selon The International Institute for Strategic Studies):
- Pilier 1. Frappe à distance et dissuasion : pour tenir à distance l’adversaire, avec un budget estimé à €180 Md sur 10 ans, et une échéance entre 2027-2032.
- Pilier 2. Bouclier aérospatial et cyber : pour projeter une bulle de protection, nécessitant €210 Md sur 10 ans, avec une échéance entre 2028-2032.
- Pilier 3. Forces conventionnelles : pour créer une force de réaction européenne, le pilier le plus lourd avec €390 Md sur 10 ans, et une échéance allant jusqu’à 2029-2035.
- Pilier 4. Industrie et autonomie : pour renforcer la base industrielle de défense européenne, avec un investissement de €120 Md sur 10 ans, et des échéances plus courtes, entre 2025-2030.
Le coût total de cette stratégie ambitieuse est estimé à €900 Md sur 10 ans, soit une moyenne annuelle d’environ €90 milliards, représentant environ 0,45 % du PIB européen cumulé.
J’insiste sur la nécessité d’une répartition intelligente des efforts via la spécialisation et la mutualisation, sous la houlette d’une « Autorité européenne de coordination militaire et industrielle (ACMI) ».
Au-delà des Pourcentages : L’Urgence d’une Dépense Intelligente
Je veux aussi mettre en garde contre la « course aux 5% du PIB » pour les dépenses militaires. Pour moi, ce n’est pas tant le montant brut qui importe, mais bien la manière dont on le dépense. Un sommet qui se contenterait d’être une course aux chiffres ne pourrait mener qu’à de l’inefficacité.
Pour étayer mon propos, j’ai mis en perspective les budgets actuels des grandes puissances mondiales :
- Les États-Unis consacrent environ 916 milliards de dollars USD à leur défense en 2023, consolidant leur position de première puissance militaire mondiale.
- La Chine a un budget officiel d’environ 231,4 milliards de dollars USD en 2024, mais il est estimé que ses dépenses réelles sont bien plus élevées, potentiellement entre 320 et 450 milliards de dollars USD.
- La Russie, en raison du conflit ukrainien, a vu son budget atteindre environ 109,45 milliards de dollars USD en 2023.
- L’Union Européenne (27 membres) a atteint environ 279 milliards d’euros (soit environ 299 milliards USD) en 2023, avec des projections à environ 326 milliards d’euros (environ 350 milliards USD) pour 2024.
Malgré une nette augmentation, les dépenses européennes restent inférieures à celles des États-Unis, se rapprochant du montant officiel de la Chine, mais probablement inférieures à son chiffre réel.
Mais surtout, nos stratégies de dépenses restent beaucoup trop fragmentées. Pour dépenser mieux, nous devons davantage concerter et coordonner au sein de l’Europe.
Je plaide pour que les efforts de l’Europe soient comptabilisé de manière mutualisée au sein de l’Otan. Cela permet une meilleure répartition de l’effort d’investissement tout en réduisant les doublons. En bref, une véritable optimisation des dépenses militaires.
Investir en Europe : Une Question de Souveraineté et de Pertinence
Aujourd’hui, 80% de nos dépenses d’investissements militaires sont fait en dehors de l’UE. Sans voir malice partout, j’estime qu’il est bon de se demander la motivation que certains ont à forcer l’Europe à augmenter son budget à 5%, sans une garantie claire que ces fonds bénéficieront prioritairement à notre propre base industrielle et technologique européenne.
Ma conviction est que notre souveraineté passe aussi par la capacité à produire nos propres équipements et à innover sur notre continent. C’est pourquoi une meilleure coordination européenne est primordiale, en concertant les efforts d’équipement, d’organiser la spécialisation des compétences, de garantir l’interopérabilité et d’éviter les redondances inutiles.
Il est urgent de concerter les efforts pour renforcer une industrie européenne de la défense, appui solide pour renforcer la souveraineté technologique de l’Union et dynamiser son tissu économique et social.
Cette industrie de défense doit s’appuyer sur l’ensemble des forces et spécialisations des pays qui la constituent. Nous avons la chance en Belgique d’avoir une base industrielle solide en armes légères, en aérospatial ou encore dans le domaine de la cybersécurité. Nous devons en faire des forces que nous mettons à disposition de l’effort de l’industrie de défense européenne.
Anticiper les Menaces de Demain : L’Importance d’une Vision Élargie
Bien dépenser, c’est aussi adapter notre défense aux formes hybrides de la guerre moderne : cyberattaques,manipulation de l’information, pression énergétique, sabotage d’infrastructures critiques…
Ne pas adapter notre conception de la défense aux réalités contemporaines revient à s’exposer à des vulnérabilités majeures.
Ainsi, les investissements de défense doivent impérativement inclure :
- La cybersécurité.
- Le renforcement des infrastructures stratégiques.
- Les programmes spatiaux à finalité sécuritaire.
- Et bien sûr, la recherche et le développement technologique au service de la sécurité.
Nous pouvons et devons augmenter les dépenses de défense, même au-delà de 3,5% du PIB, mais à une condition claire : pas d’augmentation pour acheter uniquement plus de chars ou d’avions.
L’augmentation doit servir à protéger nos réseaux, nos données, nos satellites, nos ports et infrastructures critiques ou encore nos chercheurs, nos entreprises et nos citoyens contre les formes nouvelles de conflit.
L’objectif est de passer d’une approche centrée sur le volume à une approche basée sur la pertinence et la résilience. Comme je l’ai déjà dit, la défense du XXIe siècle ne se joue plus uniquement sur le champ de bataille. Elle se joue dans nos laboratoires, nos datacenters, nos satellites, et même dans nos écoles.
Conclusion : Une Défense « Intelligente, Résiliente et Européenne »
En conclusion de mon intervention, j’ai appelé à ce que le sommet de La Haye soit l’occasion d’une vision stratégique partagée, et non une simple discussion budgétaire quantitative. Parce que les menaces ont changé, la réponse doit être anticipée, collective et adaptée.
La position de la Belgique doit être réfléchie et pragmatique.
Nous ne devons pas nous précipiter vers une course aux budgets « comme une poule qui court sans tête ».
Dans un contexte incertain, tout en restant un partenaire loyal de l’OTAN, l’Europe doit davantage se renforcer par et pour elle-même si elle veut être davantage respecté dans le nouvel ordre mondial.
La défense que l’Europe doit bâtir est :
- Intelligente : guidée par l’anticipation, la technologie et l’analyse des risques plutôt que par le volume ou « l’arsenalisme ».
- Résiliante : capable d’absorber les chocs, de réagir face aux crises hybrides et de garantir la continuité de fonctionnement des structures essentielles.
- Européenne : construite sur la coordination, la solidarité et la souveraineté partagée entre États membres de l’Union, en complémentarité avec l’OTAN
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