FIMI : Quand les cons deviennent dangereux…
Une guerre sans bombes, mais pas sans dégâts
Elle ne détruit pas les villes, ne fait pas sauter les ponts, ne laisse pas de cratères visibles. Et pourtant, elle ronge nos sociétés de l’intérieur, s’attaque à ce qu’elles ont de plus fragile : la vérité, la confiance, la raison.
Cette guerre silencieuse, c’est celle de la FIMI —Foreign Information Manipulation and Interference, ou manipulation et ingérence informationnelle étrangère. Une guerre sans missiles, mais avec des mèmes. Sans armée, mais avec des algorithmes. Une guerre où l’arme principale, c’est notre crédulité.
FIMI : l’ingérence invisible
La FIMI désigne toutes les actions d’acteurs étrangers souvent soutenus par des États visant à influencer, diviser ou affaiblir une société à travers l’information. Elle ne se contente pas d’inventer de fausses nouvelles. Elle tisse un filet de mensonges partiels, de récits biaisés, de demi-vérités et d’usurpations d’identité, pour créer un brouillard où plus rien ne paraît fiable.
C’est l’ère de la confusion stratégique : quand tout devient relatif, la manipulation devient possible.
Les cibles : nos failles humaines
La FIMI prospère sur deux faiblesses fondamentales :
- l’ignorance, quand on ne vérifie plus les sources ;
- la paresse intellectuelle, quand on préfère une émotion simple à une vérité complexe.
Elle s’appuie sur nos réflexes les plus prévisibles : la peur, la colère, le besoin d’appartenir. Les algorithmes des réseaux sociaux amplifient ces émotions, favorisant les contenus outranciers qui déclenchent des réactions plutôt que des réflexions. Et pendant que l’on s’indigne, d’autres façonnent le récit. L’émotion devient virale, la raison devient optionnelle.
Comment reconnaître une opération FIMI ?
Une campagne d’ingérence se trahit souvent par la cohérence de ses incohérences. Quelques indices suffisent à la repérer :
des récits identiques, relayés par des comptes prétendument indépendants ;
des sources opaques, récemment créées ou situées hors du pays ciblé ; une charge émotionnelle excessive : indignation, peur, ironie agressive ; des visuels détournés ou sortis de leur contexte ; des arguments circulaires destinés à semer le doute (“les médias mentent”, “on nous cache la vérité”).
Les experts européens parlent de “campagnes coordonnées inauthentiques” : des réseaux de comptes automatisés, d’influenceurs rémunérés ou de médias relais, servant une stratégie d’État. Leur arme la plus redoutable ? La répétition. Car à force d’entendre un mensonge, beaucoup finissent par le trouver crédible.
Quand les cons deviennent dangereux
La FIMI triomphe rarement seule. Elle prospère grâce à la bêtise complaisante et l’indifférence satisfaite, ces alliées involontaires de toutes les manipulations. Quand “partager sans vérifier” devient un réflexe. Quand “avoir un avis” compte plus que “comprendre un fait”.
La manipulation de masse n’a jamais eu besoin d’un génie du mal, il lui suffit d’une foule distraite, sûre d’elle, et mal informée.
Les acteurs : discrets mais organisés
Russie, Chine, Iran… chaque puissance dispose de ses propres structures d’influence, souvent camouflées derrière des médias “alternatifs” ou des ONG “culturelles”.
Des armées de trolls, des usines à contenus, des bots, mais aussi des influenceurs sincèrement convaincus. La FIMI ne cherche pas à imposer une vérité, mais à épuiser la nôtre. Et dans un monde saturé d’informations, il suffit d’un doute pour affaiblir une démocratie.
Comment s’en défendre ?
La riposte à la FIMI n’est pas seulement technologique : elle est civique, éducative et éthique. Elle suppose de redonner au citoyen les moyens de comprendre, de vérifier et de choisir en connaissance de cause.
- Cultiver l’esprit critique
Apprendre à douter intelligemment. Vérifier, recouper, confronter les sources avant de relayer. Se demander : qui parle ? dans quel but ? avec quelle légitimité ?
- Vérifier les identités et les sources
Exiger la transparence : savoir qui écrit, d’où vient l’information, quand elle a été publiée et si elle a été modifiée. Des outils existent pour cela :
Whois, CrowdTangle, InVid, Wayback Machine pour retracer les origines d’un contenu ; NewsGuard, Google Fact Check Explorer, Decodex pour évaluer la fiabilité d’un site.
La déclaration de Louvain-La-Neuve, pour laquelle je me suis battu, prévoit également la capacité à distinguer les vrai profils des faux des faux profils car vérifier l’identité d’une source n’est pas de la méfiance, c’est un acte de responsabilité démocratique.
- Renforcer l’éducation aux médias et à la raison
C’est la clé. Car la technologie ne remplacera jamais le discernement humain.
Former et éduquer les citoyens à penser, à analyser, à croiser les points de vue : c’est le rôle que porte Citoyens Numériques ASBL (citoyensnumeriques.be), dont la mission est sensibiliser chaque citoyen aux impacts du numérique sur nos démocratie. Un projet que j’ai lancé à titre personnel en compagnie de Maude Ladrière et Philippe Moraldo.
Car apprendre à lire le monde avant d’y réagir, c’est déjà résister.
- Responsabiliser les plateformes
Les grandes entreprises du numérique doivent être tenues responsables des campagnes d’influence qui prospèrent sur leurs outils. La liberté d’expression ne saurait servir de paravent à la propagation organisée du mensonge.
- Soutenir le journalisme indépendant
Une presse libre, pluraliste et professionnelle reste la meilleure défense contre les narratifs empoisonnés. Chaque abonnement, chaque clic réfléchi, chaque partage raisonné compte.
- Coopérer à l’échelle internationale
Des structures comme EUvsDisinfo, le Hybrid COE ou le StratCom COE surveillent et neutralisent déjà les campagnes d’ingérence. Mais elles ne remplaceront jamais le sens civique des citoyens éclairés.
En conclusion : la lucidité comme arme de liberté
La FIMI n’est pas une théorie du complot, mais une stratégie d’ingérence moderne, une arme géopolitique de l’ère numérique. Elle ne cherche pas à convaincre : elle cherche à épuiser notre discernement.
Dans cette guerre de l’attention, la lucidité n’est plus un luxe : c’est un acte de résistance.
Et dans ce combat silencieux, celui qui comprend reste libre.



