Les déclarations de Nicolas Sarkozy affirmant que le Rassemblement national (RN) appartiendrait désormais à « l’arc républicain » ne constituent pas une simple manœuvre politique. Elles représentent un tournant fondamental dans notre conception de la démocratie : une redéfinition implicite de ce qui fait la légitimité d’un acteur politique dans le cadre républicain.

Les Lumières : la fracture fondatrice de la démocratie moderne

Au XVIIIᵉ siècle, le Siècle des Lumières a bouleversé la conception du rapport entre l’individu et la société.

  • Rousseau, dans Du contrat social (1762), écrivait : « L’homme est né libre, et partout il est dans les fers. » La démocratie moderne repose sur la libération de l’individu par l’égalité politique et juridique.

  • Kant, dans son fameux texte Qu’est-ce que les Lumières ? (1784), définit l’Aufklärung comme la sortie de l’homme de sa minorité, grâce à la raison autonome.

  • Voltaire proclamait : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire », énonçant la tolérance comme principe cardinal.

Cet héritage a trouvé sa consécration dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (ONU, 1948), qui proclame en son article 1 :

« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. »

Et en son article 2 :

« Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. »

Ces principes universels forment le socle non négociable de la démocratie moderne.

L’extrême droite face à ces fondements

La recherche universitaire définit l’extrême droite par plusieurs traits récurrents :

  • Nativisme (préférence nationale, exclusion des étrangers).

  • Autoritarisme (primat de l’ordre sur les libertés).

  • Populisme identitaire (le peuple “pur” contre les élites).

  • Welfare chauvinism (l’État-providence réservé aux seuls nationaux).

Ces éléments sont incompatibles avec l’esprit des Lumières et la Déclaration universelle. Restreindre les droits sociaux en fonction de l’origine nationale viole l’article 2. Subordonner l’égalité à l’identité culturelle contredit le principe d’universalité. Assimiler immigration et insécurité heurte la tolérance promue par Voltaire et l’égalité en dignité affirmée par Rousseau et Kant.

De ce point de vue, l’extrême droite n’a jamais fait partie de l’arc républicain au sens substantiel. Elle participe aux élections, mais son idéologie demeure en rupture avec les valeurs qui fondent la République moderne.

Le piège de la popularité

C’est ici que réside le danger du raisonnement sarkozyste : confondre légitimité électorale et légitimité démocratique.

Un mouvement peut croître en popularité, séduire des millions de citoyens et remporter des scrutins. Mais la popularité ne crée pas la compatibilité avec les droits fondamentaux.

  • En 1933, le Parti national-socialiste a remporté des élections libres en Allemagne, sans pour autant incarner les valeurs de la démocratie.

  • Plus récemment, des régimes illibéraux élus (Hongrie, Turquie, Russie) montrent qu’un scrutin ne garantit pas l’attachement à l’universalisme des droits.

La démocratie moderne repose sur un double pilier : la procédure électorale et le respect des valeurs universelles. Retirer le second pilier, c’est réduire la démocratie à une coquille vide, à un pur rapport de force majoritaire.

Sarkozy : la disruption d’un héritage

En intégrant le RN dans « l’arc républicain », Nicolas Sarkozy déplace le centre de gravité de notre démocratie :

  • Il privilégie la forme (participation électorale, respect des institutions).

  • Il minore le fond (respect des droits universels et des valeurs des Lumières).

Ce glissement est dangereux, car il banalise l’idée que la République peut se passer d’universalisme, et qu’un parti défendant l’exclusion peut être assimilé à un parti démocratique “comme les autres”.

Un miroir de notre époque

En réalité, Sarkozy n’est pas seulement l’auteur d’une provocation. Il est le symptôme d’un temps où la démocratie, fragilisée par la mondialisation, la peur de l’avenir et la désinformation, se replie sur elle-même. Un temps où la mémoire des Lumières et des catastrophes du XXᵉ siècle s’estompe, laissant place à une logique de popularité immédiate.

Mais l’histoire nous a appris qu’un parti peut être populaire sans être démocratique. Et qu’un peuple peut, par lassitude ou peur, se tourner vers des solutions qui détruisent ses propres fondements.

Conclusion : un cri d’alerte

Faut-il blâmer Nicolas Sarkozy ? Sans doute pas. Mais il faut entendre dans ses propos un cri d’alerte.

Ce n’est pas seulement le RN qui teste la solidité de nos démocraties, c’est notre capacité collective à défendre les valeurs universelles.

Si nous acceptons de réduire la République à une mécanique électorale, nous abandonnons l’héritage des Lumières et la promesse de la Déclaration universelle. Nous entrons alors dans une ère où l’exclusion devient légitime, où l’autoritarisme remplace la liberté, où la peur supplante la raison.

Winter is coming.

À nous de décider s’il sera subi ou conjuré.

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