Entre paix et guerre : pourquoi je m’inquiète de la zone grise des menaces hybrides

Présentation de la proposition de loi sur laquelle je travaille:
https://www.lavenir.net/actu/belgique/politique/2025/11/13/guerre-hybride-mathieu-michel-propose-une-loi-pour-gagner-du-temps-en-cas-de-situation-durgence-Y7FC343XPFH35KS2QIZLYYUYA4/

Lorsque j’observe l’évolution du monde, je suis frappé par une réalité silencieuse, presque invisible, mais de plus en plus pressante : nos sociétés ne sont plus seulement menacées par la guerre telle qu’on l’a longtemps connue. Elles sont exposées à une multitude d’actions discrètes, coordonnées, parfois indétectables, qui fragilisent leur cohésion et testent la résilience de nos institutions.

Ces attaques, qu’on qualifie de « hybrides », s’insinuent dans notre espace numérique, dans nos infrastructures, dans nos débats publics. Elles s’installent dans cette zone grise où la Belgique n’est ni en paix au sens strict, ni en guerre au sens classique.

C’est précisément pour affronter cette ambiguïté que je me suis plongé dans le projet porté par le député fédéral Mathieu Michel. Son initiative vise à combler un vide juridique majeur : entre le calme ordinaire et le conflit armé, la loi belge ne reconnaît aucune situation intermédiaire, même lorsqu’une menace hybride avérée met le pays sous pression  .

Comprendre la nature de la menace

Lorsque je regarde la succession des cyberattaques, des survols de drones, des campagnes de désinformation ou des pressions économiques ciblées, je vois se dessiner un nouveau type de confrontation. Ce n’est plus un adversaire qui franchit une frontière physique, mais un faisceau d’actions qui cherchent à perturber nos institutions, nos réseaux énergétiques, nos services publics.

Ces manœuvres sont paradoxales : elles sont agressives sans être militaires, hostiles sans être officiellement reconnues, dangereuses sans provoquer une réaction immédiate.

Elles touchent les systèmes informatiques un jour, la confiance de la population le lendemain, ou encore les infrastructures critiques lorsque nous nous y attendons le moins.

Face à cela, je constate à quel point nos mécanismes juridiques sont fragmentés. Nous disposons de procédures de marchés publics, de mesures de cybersécurité ou d’outils policiers, mais rien n’est pensé pour une réaction coordonnée, rapide et démocratiquement encadrée face à une crise hybride soudaine  .

Nommer enfin cette situation trouble

C’est ce qui me paraît essentiel dans la proposition de Mathieu Michel : poser une définition claire de la situation d’urgence hybride. Selon le projet, il s’agit d’un ensemble d’actes coordonnés, étatiques ou non, visant à perturber gravement le fonctionnement du pays sans constituer une guerre déclarée  .

Cette définition n’est pas qu’une ligne dans un texte. Elle permettrait d’activer un cadre d’action précis, limité dans le temps, contrôlé par le Parlement et strictement proportionné.

Elle ouvre la voie à une réponse rapide mais encadrée, à l’opposé d’un état d’urgence permanent ou d’une dérive sécuritaire.

Agir vite, mais jamais au détriment de la démocratie

Ce qui me frappe dans ce projet, c’est la volonté d’équilibre. Le Gouvernement pourrait agir rapidement — par exemple en activant des budgets d’urgence, en accélérant certains marchés publics, en coordonnant immédiatement les services de renseignement, la Défense, la Police et le Centre pour la Cybersécurité Belgique — mais il ne pourrait le faire que sous le contrôle strict de la Chambre des représentants, seule autorité habilitée à déclarer une telle situation  .

À mes yeux, c’est un point essentiel : on ne réagit pas à une menace floue par des pouvoirs flous.

Le temps de la crise n’est pas un temps où l’État de droit doit être mis entre parenthèses. Au contraire, il doit devenir notre boussole.

La durée serait limitée (six mois renouvelables une seule fois), les mesures encadrées, les rapports obligatoires et mensuels, le contrôle juridictionnel intégralement préservé.

Au fond, ce projet cherche à concilier deux impératifs que l’on dit souvent opposés : efficacité opérationnelle et fidélité aux principes démocratiques.

Pourquoi cette loi est indispensable

Je suis convaincu que la Belgique, comme d’autres pays européens, entre dans une période où la menace ne s’exprimera plus par des chars aux frontières, mais par des « brèches » dans nos systèmes numériques, nos chaînes logistiques, notre opinion publique.

Sans cadre juridique clair, nous restons désarmés — non pas militairement, mais institutionnellement.

En dotant le pays d’un mécanisme d’urgence hybride, nous ne cherchons pas à militariser la vie civile ; nous cherchons à préserver :

  • la continuité de nos institutions,

  • la sécurité de nos infrastructures,

  • la confiance de la population,

  • et l’intégrité de la démocratie.

C’est, en somme, une loi pour notre temps : une loi qui reconnaît la complexité du monde sans renoncer à la simplicité de nos principes fondamentaux.

 

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