EuroHPC : vers une souveraineté européenne en intelligence artificielle
Le 13 octobre 2025, l’EuroHPC Joint Undertaking (EuroHPC JU) a franchi une nouvelle étape dans la construction d’un écosystème européen de calcul intensif et d’intelligence artificielle (IA) en annonçant la sélection de treize nouvelles « AI Factory Antennas ». Cette initiative complète le réseau existant des AI Factories, centres de calcul de pointe répartis à travers l’Europe, en créant des relais nationaux ou régionaux destinés à rapprocher ces capacités de terrain des chercheurs, PME et institutions publiques.
Des relais stratégiques pour démocratiser l’IA européenne
Ces treize « antennes » bénéficieront d’un investissement de 55 millions € de l’Union européenne, cofinancé par les États membres participants. Leur mission : étendre les services des AI Factories, faciliter un accès à distance aux ressources de calcul, et offrir des capacités locales pour le test, le fine-tuning et la validation d’applications IA.
Chaque Antenna sera étroitement liée à une Factory existante — souvent située dans un autre pays européen — afin d’assurer l’interopérabilité technique et le partage des meilleures pratiques.
La Belgique fait partie des pays retenus avec le projet BE-AIFA, relié aux supercalculateurs LUMI (Finlande) et JUPITER (Allemagne). L’Antenna belge se concentrera sur plusieurs secteurs stratégiques : défense et sécurité, santé, biotechnologie, sciences de la vie, manufacturing, robotique, aérospatial et services publics. Elle vise notamment à soutenir les PME et startups belges ainsi que la recherche académique.
Parmi les autres pays sélectionnés figurent Chypre, la Hongrie, l’Islande, l’Irlande, Malte, la Moldavie, la Macédoine du Nord, la Serbie, la Slovaquie, la Suisse, le Royaume-Uni et la Lettonie — preuve de la volonté européenne d’inclure un large spectre géographique, au-delà du seul cœur industriel de l’Union.
Un levier pour la souveraineté et l’innovation européennes
Cette initiative illustre une montée en puissance de la souveraineté européenne en matière d’IA. En multipliant les points d’accès répartis sur le continent, l’Union cherche à réduire la dépendance aux infrastructures des géants du numérique non européens, tout en offrant à ses chercheurs et entrepreneurs des capacités locales et sécurisées.
Pour les PME, startups et laboratoires, l’enjeu est crucial : disposer d’une porte d’entrée « nationale » vers les supercalculateurs européens, aujourd’hui réservés à quelques grands projets. L’objectif est de rendre l’IA de pointe accessible, ouverte et interconnectée, dans une logique de solidarité technologique.
Ces Antennas contribuent également à structurer un véritable « continent IA », selon la formule employée par la Commission. En reliant des centres de calcul d’excellence à des hubs d’innovation locaux, l’Europe tisse un réseau intégré où la recherche, l’industrie et les politiques publiques peuvent coopérer.
Des secteurs d’application à haute valeur stratégique
Les domaines couverts par les Antennas sont révélateurs d’une stratégie ciblée : santé, biotech, agriculture, énergie, robotique, manufacturing et services publics numériques. Pour la Belgique, cette orientation ouvre la voie à des synergies prometteuses entre recherche scientifique, entrepreneuriat et transformation de l’État numérique.
Dans un contexte où l’intelligence artificielle s’impose comme moteur de compétitivité et d’efficacité publique, ces hubs pourraient devenir des accélérateurs de transformation économique et sociétale, à condition que leur mise en œuvre soit accompagnée d’une gouvernance claire et inclusive.
Un investissement modeste mais symbolique
Les 55 millions € alloués à ces treize antennes représentent une moyenne de 4 millions € par site. Ce montant peut sembler limité face aux milliards investis dans les grands centres HPC, mais il marque une étape pragmatique et mesurée. L’Union européenne avance ainsi par paliers, privilégiant l’expérimentation et la coopération plutôt que les dépenses massives — une approche conforme à une vision libérale du progrès : innover avec rigueur, sans excès.
Des questions essentielles pour la Belgique
Derrière l’annonce, plusieurs points de vigilance méritent l’attention des décideurs belges :
Accessibilité réelle : comment garantir que les PME et chercheurs belges bénéficieront d’un accès équitable et abordable aux ressources ? Souveraineté des données : quels mécanismes de sécurité et de gouvernance encadreront les flux transfrontaliers de données sensibles ? Coordination nationale : qui pilotera l’Antenna belge ? Comment s’articulera-t-elle avec les initiatives fédérales et régionales en IA ? Mesure d’impact : quels indicateurs permettront d’évaluer l’efficacité de ce dispositif — en matière d’innovation, d’emplois, ou de services publics numériques ?
Autant de questions que le Parlement fédéral pourrait porter afin d’assurer une intégration cohérente et transparente de la BE-AIFA dans la stratégie numérique du pays.
Vers une gouvernance responsable de l’intelligence artificielle
Enfin, cette initiative ne peut être dissociée du nouveau cadre réglementaire européen — l’AI Act, entré en vigueur en 2024. Les Antennas devront garantir que le développement et le déploiement des technologies respectent les principes de fiabilité, sécurité et respect des droits fondamentaux.
La réussite de ce réseau reposera donc autant sur la technologie que sur la confiance qu’il saura inspirer.
Conclusion : une opportunité à saisir
L’annonce du 13 octobre marque un tournant discret mais décisif : l’Europe commence à se doter d’un maillage concret pour son indépendance numérique. Pour la Belgique, la création de BE-AIFA constitue une chance unique d’ancrer l’innovation dans le tissu national, à condition de veiller à ce que les promesses d’accessibilité et de souveraineté deviennent réalité.
La question, désormais, est celle-ci : ferons-nous de cette antenne un simple relais technique, ou le noyau d’une véritable stratégie nationale pour une IA responsable, souveraine et au service du bien commun ?