Protection des mineurs en ligne: la Belgique rate le rendez-vous de Jutland…
Ne cherchez pas la Belgique sur la photo… elle n’y est pas!
Alors que 25 États membres de l’Union européenne, rejoints par la Norvège et l’Islande, ont signé la Déclaration de Jutland pour renforcer la protection des mineurs en ligne, la Belgique s’est abstenue.
Une décision surprenante, voire incompréhensible, pour un pays qui, il y a à peine un an, sous mon impulsion, faisait figure de précurseur européen avec la Déclaration de Louvain-la-Neuve sur la citoyenneté et la responsabilité numériques.
Cette absence de signature, due à un veto de la Flandre, a été déplorée publiquement par la ministre fédérale Vanessa Matz (Les Engagés), en charge du Digital.
« Il est regrettable que ce veto prive la Belgique de la possibilité de s’affirmer aux côtés de ses partenaires européens sur un enjeu aussi fondamental », a-t-elle déclaré vendredi dans un communiqué relayé par Belga.
Une déclaration ambitieuse, dans la droite ligne de Louvain-la-Neuve
La Déclaration de Jutland, portée par la présidence danoise du Conseil de l’UE, invite les États à renforcer la sécurité des enfants et adolescents sur les réseaux sociaux et les plateformes numériques.
Elle promeut notamment :
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une vérification d’âge respectueuse de la vie privée,
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une réflexion européenne sur la “majorité numérique”,
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et une lutte renforcée contre les contenus illégaux, les designs addictifs et les pratiques commerciales manipulatrices.
Autrement dit, le prolongement logique de la réflexion initiée en Belgique lors du Conseil informel des ministres européens du numérique à Louvain-la-Neuve, organisé en 2024 sous mon impulsion.
C’est là qu’avait été adoptée la Déclaration de Louvain-la-Neuve, texte fondateur reconnaissant la citoyenneté numérique comme une nouvelle compétence démocratique et un droit à part entière pour les jeunes générations.
En d’autres termes, le contenu de Jutland s’inscrit dans la continuité directe de l’initiative belge, un terrain sur lequel notre pays a toujours été à l’avant-garde.
Une querelle institutionnelle injustifiée
Or, cette fois, la Belgique n’a pas signé. La raison ?
Un désaccord de la ministre flamande des Médias, Cieltje Van Achter (N-VA), qui juge les mesures “disproportionnées”, notamment l’idée d’utiliser des outils comme Itsme pour vérifier l’âge des utilisateurs sur certaines plateformes.
Mais ce veto soulève plusieurs questions juridiques et politiques.
Selon moi, la ministre Matz, dans ce cadre, était pleinement habilitée à signer le texte au nom de la Belgique, sans qu’aucun conflit de compétence ne soit identifié par le Conseil d’État ou la Conférence interministérielle.
Il ne s’agissait pas d’une mesure réglementaire interne, mais d’une adhésion de principe à une orientation européenne que la Belgique avait elle-même initiée à Louvain-la-Neuve.
Autrement dit, l’opposition flamande n’avait pas de base institutionnelle solide.
Elle a bloqué une position européenne qui relevait légitimement du niveau fédéral, affaiblissant ainsi la cohérence et la crédibilité de la Belgique sur la scène numérique internationale.
Une incohérence dommageable pour notre crédibilité
Ce refus ne remet pas seulement en cause la cohérence politique belge, il ternit notre image au sein des instances européennes.
La Belgique, autrefois citée en exemple pour son approche équilibrée entre protection, éducation et liberté numérique, se retrouve désormais parmi les deux seuls pays, avec l’Estonie, à ne pas avoir signé un texte pourtant consensuel.
Plus grave encore, ce choix contredit les engagements antérieurs de notre pays, ceux défendus dans la Déclaration de Louvain-la-Neuve.
Cette initiative avaient précisément pour but de prévenir les dérives du numérique, d’outiller les jeunes et de promouvoir une approche responsable face aux réseaux sociaux et aux algorithmes.
En refusant de signer Jutland, la Belgique se tire une balle dans le pied : elle freine un processus qu’elle a elle-même contribué à enclencher.
Une Belgique à deux vitesses sur le numérique ?
Derrière cette querelle institutionnelle se cache un débat de société essentiel.
La Flandre craint une “surveillance” accrue, là où d’autres voient une responsabilité éducative et une protection légitime.
Mais l’enjeu dépasse le clivage communautaire : il touche à la cohérence de la politique numérique belge, à un moment où l’Europe avance à grands pas vers une régulation plus protectrice des jeunes.
Cette dissonance institutionnelle traduit une fragilité structurelle : celle d’un pays où les compétences numériques, sont disputées entre plusieurs niveaux de pouvoir et peinent à s’articuler dans une vision commune.
Résultat : la Belgique, pionnière hier, devient spectatrice aujourd’hui.
Pour conclure : ne pas laisser passer le train
En refusant de signer la Déclaration de Jutland, la Belgique n’a pas seulement manqué une photo de famille européenne : elle a manqué une occasion de confirmer son leadership éthique et éducatif dans la gouvernance numérique.
La protection des mineurs en ligne n’est pas un gadget réglementaire ; c’est un enjeu de civilisation, au même titre que la lutte contre la désinformation ou la sauvegarde de la démocratie à l’ère des algorithmes.
C’est la raison pour laquelle j’ai co-fondé « citoyensnumérique.be ».
La Déclaration de Louvain-la-Neuve avait ouvert la voie à une citoyenneté numérique responsable.
Le refus de Jutland, lui, risque d’en refermer la porte.