Un geste symbolique plus qu’une simple provocation

Dans une de ses dernières vidéos partagées sur son réseau social Truth Social, on voit Donald Trump aux commandes d’un avion de chasse en train de larguer une substance brunâtre, ressemblant à de l’excrément, sur une foule de manifestants opposés à sa politique. C’est une image sidérante.

Cette publication n’est pas anodine. Elle ne se réduit pas à un « mème » de campagne ou à une provocation sur les réseaux ; c’est un acte de communication politique hautement symbolique, dans lequel se mêlent pouvoir, technologie et émotion.

Le président d’un des pays les plus puissants du monde choisit ici l’imaginaire numérique, celui de la toute-puissance visuelle générée par l’IA, pour affirmer une domination politique et culturelle.

La stratégie visuelle : entre culte du chef et pop-politique numérique

Cette vidéo reprend tous les codes de la culture de l’hybris numérique :

Le chef devient un personnage mythologique « King Trump » coiffé d’une couronne, maître du ciel, surplombant la masse. L’avion de combat évoque la technologie, la virilité, la puissance militaire; des marqueurs de force et de contrôle. La foule des opposants, réduite à une masse indistincte et ridiculisée, devient l’antithèse de l’ordre incarné par le leader.

Ce type d’imagerie est un prolongement moderne du culte du chef par le visuel, déjà présent au XXᵉ siècle dans la propagande politique.

La différence aujourd’hui, c’est que la technologie IA permet de fabriquer le mythe instantanément, sans intermédiaire, ni média, ni filtre.

L’usage de l’intelligence artificielle : entre innovation et manipulation

Le recours à une vidéo générée par IA n’est pas anodin.

C’est à la fois :

un outil d’amplification émotionnelle (la puissance de l’image rend le message plus fort qu’un discours) ; un outil de déréalisation : le spectateur sait que c’est faux, mais l’image laisse une empreinte psychologique forte, comme une réalité parallèle.

Ce choix traduit une mutation profonde du rapport à la vérité dans la communication politique.

Trump joue avec cette ambiguïté : il ne dit pas « voici ce que je ferai », mais « voici comment je veux que vous me voyiez ».

C’est une politique de la perception, pas une politique du réel.

Les implications démocratiques : la désacralisation du discours présidentiel

Traditionnellement, un chef d’État incarne la continuité, la stabilité et la dignité du pouvoir.

En se mettant en scène dans un fantasme numérique violent, Trump brouille cette ligne.

Ce choix :

désacralise la fonction présidentielle : la figure du président devient un acteur de son propre spectacle ; instrumentalise la dérision et la surenchère visuelle comme moyen de communication ; affaiblit la frontière entre propagande et satire, entre message politique et mème viral.

En démocratie, le risque est majeur : le pouvoir cesse de se légitimer par le logos (le raisonnement, la parole) et se légitime par le pathos visuel (l’émotion, le choc).

C’est une dérive vers une « démocratie du spectacle », où la politique devient une succession de scènes destinées à stimuler le flux d’attention.

L’impact social et culturel : la normalisation de la violence symbolique

Dans cette vidéo, l’acte de survoler des manifestants et de leur déverser une substance dégradante a une portée symbolique violente.

Même si c’est « faux », le message implicite est réel : le chef domine, humilie et punit ceux qui le contestent.

Une telle représentation :

banalise la violence symbolique dans le débat public ; réduit la pluralité démocratique à un rapport de force ; et renforce la polarisation : les partisans y voient un acte de courage, les opposants une dérive autoritaire.

À long terme, cette logique nourrit la défiance, fragilise le tissu civique et altère le sens même de la liberté d’expression : celle-ci devient un outil d’affirmation de soi, pas un espace de dialogue.

Le rôle de l’IA comme miroir du pouvoir

L’IA n’est ici qu’un instrument, mais elle révèle quelque chose de plus profond : la fusion du pouvoir et de la technologie.

En utilisant l’IA pour se représenter lui-même dans une posture quasi divine, Trump envoie un message :

« Je contrôle non seulement le récit, mais aussi la réalité visuelle. »

C’est une forme d’appropriation symbolique du monde numérique : l’IA devient le prolongement du pouvoir personnel.

Ce geste interroge le rapport entre liberté technologique et responsabilité morale : si les dirigeants utilisent les outils de l’IA pour façonner leurs propres mythes, quelle place reste-t-il à la vérité, au débat, à la contradiction ?

🕊️ Conclusion : entre post-vérité et post-responsabilité

Ce post de Donald Trump illustre parfaitement l’entrée dans une ère de post-responsabilité numérique.

Un dirigeant peut désormais fabriquer des symboles plus puissants que des faits, tout en se retranchant derrière la liberté d’expression et la fiction.

C’est un tournant dangereux :

il déplace le débat démocratique du terrain des idées vers celui des images ; il transforme la fonction présidentielle en performance ; et il habitue les citoyens à un monde où la vérité est relative, mais l’émotion absolue.

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