Je m’oppose fermement au projet européen surnommé Chat Control.
Car derrière la volonté — légitime — de lutter contre l’exploitation sexuelle des enfants, il se cache un mécanisme qui transformerait chaque citoyen en suspect par défaut.
Dans un État de droit, la force publique ne peut pas considérer qu’elle a le droit d’examiner en permanence la vie privée de chacun. C’est une ligne rouge que nous ne devons pas franchir.
Qu’est-ce que le Chat Control ?
En mai 2022, la Commission européenne a présenté un projet de règlement pour « prévenir et combattre les abus sexuels sur les enfants ».
Ce texte, vite surnommé Chat Control, vise à imposer aux plateformes de messagerie et de partage de fichiers de scanner automatiquement l’ensemble des communications privées — messages, photos, vidéos — afin de détecter du contenu illicite.
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Cela concernerait tous les utilisateurs, même sans aucun lien avec la criminalité.
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Même les messages chiffrés de bout en bout (WhatsApp, Signal, Telegram) devraient être analysés avant envoi.
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Les services auraient l’obligation de signaler aux autorités toute suspicion générée par l’algorithme.
En clair : une surveillance généralisée et permanente de nos échanges numériques.
Un parcours législatif mouvementé
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2022 : la Commission propose une surveillance totale.
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2023 : le Parlement européen amende le texte, limitant la surveillance aux cas ciblés et protégeant le chiffrement.
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2024 : la présidence belge propose un compromis basé sur le consentement, rejeté par les États membres.
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2025 : la présidence danoise relance une version encore plus stricte, soutenue par 19 États membres, avec un vote décisif attendu à l’automne.
L’Europe est à un tournant historique : protéger la vie privée ou accepter la surveillance de masse.
De nombreuses voix contre ce projet
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Les autorités européennes de protection des données (EDPS et EDPB) dénoncent une violation des droits fondamentaux.
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Des ONG comme EDRi, Privacy International ou La Quadrature du Net alertent sur un glissement vers la surveillance de masse.
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Des experts en cybersécurité affirment que ce texte obligerait à fragiliser le chiffrement, ouvrant des failles béantes.
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Plusieurs États membres (Allemagne, Luxembourg, Pays-Bas, Autriche, Pologne) s’y opposent clairement.
Pourquoi je m’y oppose
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Une atteinte massive à la vie privée
La surveillance doit être ciblée et proportionnée. Ici, on inverse les principes : tout le monde devient suspect par défaut.
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Une mesure disproportionnée
Plutôt que de renforcer les moyens d’enquête et la coopération internationale, on choisit la facilité : surveiller tout le monde. C’est une paresse institutionnelle inacceptable.
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Un risque cyber majeur
C’est peut-être le point le plus inquiétant.
Le Chat Control obligerait à créer des portes dérobées (“backdoors”) pour analyser les communications chiffrées. Or, dans le contexte actuel, où les menaces cyber n’ont jamais été aussi grandes — attaques d’États hostiles, cybercriminalité organisée, espionnage industriel — affaiblir le chiffrement reviendrait à ouvrir une brèche monumentale dans notre cybersécurité.
En voulant protéger, on fragiliserait :
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les citoyens (banques en ligne, données médicales, vie privée),
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les entreprises (secrets industriels, données clients),
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les États eux-mêmes (communications gouvernementales, infrastructures critiques).
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Un précédent politique dangereux
Aujourd’hui, c’est pour lutter contre la pédopornographie. Demain, ce pourrait être le terrorisme, les migrations, ou les opinions politiques. L’outil, une fois créé, pourra toujours être détourné.
Accepter nos limites pour préserver nos libertés
Il faut parfois accepter de s’interdire d’être en capacité de tout faire et de tout savoir.
Un État de droit n’est pas un État omniscient. Il se fixe des limites, parce que la liberté et la sécurité des citoyens ne sont pas négociables.
Protéger les enfants est une priorité absolue. Mais on ne protège pas une société en détruisant les fondements de sa sécurité numérique et de sa liberté.
Dans un État de droit, on traque les criminels, pas les citoyens.